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Quand Nicolas Sarkozy se lâchait hors antenne… mais pas hors micro

Par Eloïse Cimbidhi, Le Figaro.

GRANDS MOMENTS DU PETIT ÉCRAN 5/6 – Le 30 juin 2008, un média en ligne diffuse une séquence «off» enregistrée avant le début de l’interview du chef de l’État sur France 3.

Avant d’être bousculée par l’apparition d’internet et par la révolution des réseaux sociaux, la télévision était l’écrin des principales joutes politiques. Théâtre de débats assassins ou de séquences devenues cultes, le petit écran a offert une multitude de moments forts sous la Ve République. Cet été, Le Figaro vous raconte les coulisses de ces rendez-vous.

Tout est bien qui finit mal. «C’est la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République qu’un président en exercice se rend dans les studios d’une chaîne de télévision…», entame Paul Nahon dès le lancement du «19/20», ce 30 juin 2008. «Ça prouve que j’apprécie France Télévisions en général, et France 3 en particulier», le coupe Nicolas Sarkozy, dans un large sourire. Les téléspectateurs qui assistent à cet échange d’amabilités n’en ont encore aucune idée, mais ils ne tarderont pas à découvrir l’ambiance qui régnait sur le plateau quelques instants plus tôt. Lorsqu’une discussion d’une petite dizaine de minutes – hors antenne mais pas hors micro – a donné lieu à quelques règlements de comptes, filmés, enregistrés, et aussitôt diffusés par le média en ligne Rue89.

Il est un peu moins de 19 heures ce soir-là lorsque, un technicien chargé des essais sons, laisse le salut présidentiel sans réponse. «C’est une question d’éducation», rit jaune le président. Et d’ajouter, le visage balayé de coups de pinceau: «Enfin, quand on est invité, on a le droit que les gens vous disent bonjour quand même. Ou alors on n’est pas dans le service public, on est chez les manifestants. C’est autre chose hein… C’est incroyable. Et grave.» Visiblement vexé, le locataire de l’Élysée semble dire ensuite que «ça va changer». D’abord interprétée comme l’annonce d’un remaniement forcé chez France 3, la formule provoque l’émoi du service public, qui craint alors un interventionnisme présidentiel. Plus tard, les journalistes présents sur le plateau, Audrey Pulvar, Véronique Auger et Gérard Leclerc, démentiront cette version auprès de Télérama.

D’après eux, Véronique Auger venait en fait de réagir aux réprimandes de Nicolas Sarkozy d’un ton résigné: «Vous savez, c’est la France.» Ce à quoi l’intéressé aurait répondu: «Non, c’est l’ancienne.» Avant d’ajouter: «Ça va changer, là, ça va changer.» Un échange en lien avec l’accueil hostile réservé quelques minutes plus tôt au chef de l’État, attendu à son arrivée par une vingtaine de salariés de France Télévisions qui, armés d’une banderole «Plus belle la vie sans Sarkozy», ont protesté contre sa venue dans les locaux. Manière de manifester leur désaccord avec son projet de réforme de l’audiovisuel public, qui prévoyait notamment la suppression de la publicité entre 20 heures et 6 heures, et la nomination du directeur du groupe par le gouvernement.

Mais la polémique ne s’est pas arrêtée là. Alors qu’il reste un peu de temps avant le lancement du journal, et tandis que la discussion se poursuit, Nicolas Sarkozy change de registre et se montre dithyrambique vis-à-vis du studio flambant neuf de la chaîne. «Très beau», relève-t-il. Avant d’enchaîner sur la présence du journaliste Gérard Leclerc, après une mise à l’écart: «Ça fait plaisir de voir Monsieur Leclerc à l’antenne. Tu es resté combien de temps au placard?», interroge-t-il. Et de poursuivre: «J’avais protesté quand on l’avait mis au placard.» Quelques secondes dont la forme – le tutoiement – et le fond – la mention d’une intervention – viendront nourrir la controverse. Quelques secondes dont la forme – le tutoiement – et le fond – la mention d’une intervention - viendront nourrir la controverse.

_ Quelques secondes dont la forme – le tutoiement – et le fond – la mention d’une intervention - viendront nourrir la controverse

D’autant que, à cet épisode, s’ajoute la suite de la séquence, lorsque Nicolas Sarkozy demande au directeur de l’information et présentateur du soir, Paul Nahon: «Vous voulez pas poser une question d’actualité sur Carcassonne, non?» Le matin même, le président se rendait dans la ville de l’Aude, où une fusillade accidentelle avait blessé plusieurs personnes. Une actualité propice à pousser Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène donc. Le journaliste explique qu’il compte aborder l’événement mais insiste tout de même auprès de son équipe: «Donc on parle de Carcassonne avec le président après.»

Longue de 7 minutes et 42 secondes, la vidéo «off» de Nicolas Sarkozy, mise en ligne le jour même sur le site Rue89, fait mauvais effet chez France 3. Le 8 juillet 2008, la chaîne dépose plainte contre X pour vol, recel et contrefaçon. Un technicien est même mis en examen en novembre pour «vol de vidéogramme». Il risque alors, outre la perte de son emploi, trois ans de prison et 45.000 euros d’amende.

«Aucun secret d’État»

Les tourments judiciaires se poursuivent le 11 juin 2010 lorsque le journaliste de Rue89, Augustin Scalbert, est à son tour mis en examen pour «recel». La nouvelle indigne la profession, qui dénonce une atteinte insupportable au journalisme. «La juge m’a demandé d’où  venaient les images mais j’ai évidemment refusé de répondre», a expliqué Augustin Scalbert, «étonné d’être poursuivi pour un délit de droit commun alors qu’(il n’a) fait que son métier de journaliste». Ce spécialiste des médias encourt jusqu’à 5 ans de prison et 375.000 euros d’amende. Il n’explique alors cette décision «que par une pression venue de l’Élysée».

Le directeur de Rue89 de l’époque, Pierre Haski, argue que les images hors antenne «ne contiennent aucun secret d’État, ou d’alcôve, mais apportent des éléments d’information sur un président alors en poste depuis seulement un an et qui était en conflit ouvert avec les salariés de France Télévisions autour de la réforme du statut de l’audiovisuel public. Ces images font, de notre point de vue, partie du droit du public à l’information sur leur chef de l’État dans l’exercice de sa fonction.» Quatre ans plus tard, le journaliste bénéficiera d’un non-lieu avant de se réjouir d’un «Champagne!» sur Twitter. Depuis, la séquence a survécu à Rue89: le site appartient désormais à L’Obs, mais la vidéo, elle, est toujours en ligne.

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