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Du poulain de Marine Le Pen au patron incontesté : un an de présidence RN sous l’ère Bardella

Par Paul Laubacher, Le Figaro.

Ce dimanche 5 novembre, Jordan Bardella fête son premier anniversaire à la tête du Rassemblement national. Retour sur une métamorphose politique.

Tous les deux ont fait la fermeture de la brasserie Le Bourbon, face à l’Assemblée nationale. Ils en avaient des choses à se dire. À minuit et demi, ils ont dû se quitter quand les serveurs rangeaient les tables et les chaises. Ce soir-là, Jordan Bardella et Bruno Bilde ont enterré la hache de guerre. D’un côté, le dauphin politique de Marine Le Pen, de l’autre, l’ami sincère de plus de 20 ans de la triple candidate à l’Élysée. Ce jeudi 12 octobre, attablés à la fameuse cantine des députés, coincés entre un pilier et les grandes fenêtres, ils ont trinqué à l’amitié retrouvée. Pendant que Marine Le Pen et ses députés bataillaient, sans espoir, lors de leur niche parlementaire pour faire adopter une de leurs propositions de loi, Jordan Bardella, 28 ans, et Bruno Bilde, 47 ans, ont fait la paix. Entre les deux amis, la guerre avait duré un an.

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Elle s’était révélée au grand jour un froid matin de novembre 2022. Elle avait débuté pour des raisons obscures : Bardella avait refusé à Bilde d’exclure du parti des conseillers régionaux. Ce 5 novembre 2022, ce devait pourtant être le sacre de Jordan Bardella lors du XVIIIe congrès du parti à la flamme. Le président par intérim du Rassemblement national (RN) allait être élu – enfin – président du mouvement. Pour la première fois, ce ne sera pas un Le Pen qui mènerait le navire. Le poulain savait qu’il ne ferait qu’une bouchée de son seul adversaire, Louis Aliot, le maire RN de Perpignan, ancien compagnon de Marine Le Pen, qui s’était lancé dans la course sans savoir vraiment quoi dire, ni quoi faire. Il était soutenu par Bruno Bilde et Steeve Briois, le fameux « clan d’Hénin-Beaumont », que la plupart des cadres RN redoutent, dont l’objectif est d’affaiblir le plus possible l’héritier de Marine Le Pen. Les 26 000 adhérents du RN ont tranché : Jordan Bardella récolte 84,84% des suffrages exprimés, Louis Aliot, 15,16%.

La fin de la «guéguerre»

La fête est gâchée avant même d’avoir commencé. Jordan Bardella remanie les instances stratégiques du parti : le bureau exécutif et la commission d’investiture. Steeve Briois, le second vieil ami de Marine Le Pen, maire d’Hénin-Beaumont, proche de Bruno Bilde, balance un communiqué au vitriol. Sa cible : Jordan Bardella, évidemment, qu’il accuse de droitiser, voir « zemmouriser » le RN. Il dénonce son «éviction» des «instances représentatives» du RN, évoque « une potentielle re-radicalisation », assure que « des années de dédiabolisation soient en train d’être réduites à néant ». Le tremblement de terre secoue brutalement la maison frontiste, qui fête pourtant en grande pompe l’élection de ses 88 députés. Marine Le Pen se retrouve obligée de dire stop publiquement à la lutte fratricide entre Jordan Bardella et le fameux clan d’Hénin-Beaumont. « La ligne sociale du RN, c’est moi ! », assène-t-elle sur BFM-TV. Une fois, déjà, elle avait dû les séparer physiquement, quand le ton était monté entre son poulain et Bruno Bilde, lors de la soirée péniche au Cap-d’Adge, à la rentrée politique du RN de septembre 2021.

Élections européennes: à huit mois du scrutin, Jordan Bardella caracole à 28 % des intentions de vote

Ce dimanche 5 novembre, Jordan Bardella fêtera son premier anniversaire à la tête du RN. Il est maintenant heureux. Plus personne ne l’accuse de vouloir « zemmouriser » le parti. « Le mouvement est pacifié », dit-il. La fin de l’antagonisme avec son « ami » Bruno Bilde le soulage. « C’était important pour Marine ». Seul Steeve Briois n’a rien pardonné. Jordan Bardella, lui, affirme : « Quand on fait 85%, on est rassembleur, pas un petit purgeur ». La fin de la « guéguerre », ou du « puputsch » selon certains, va libérer un peu de charge mentale au jeune loup. C’est que celui-ci estime avoir beaucoup de travail : il faut bien préparer la conquête du pouvoir en 2027. Et pour y arriver, se dit-il, il faut un parti en ordre de marche. L’homme a de l’ambition. Il s’est donné une mission : « désenclaver » politiquement un mouvement vieux de plus de 50 ans et le professionnaliser.

Qu’a vraiment réalisé Jordan Bardella au sein du RN en 365 jours ? Le président frontiste assure déjà avoir augmenté la masse militante du parti. De 37 000 adhérents, il revendique aujourd’hui près de 50 000 encartés. C’est le résultat de la campagne d’adhésion lancée au printemps 2022. « Nous sommes un parti de masse », affirme-t-il, un peu trop fort. Maintenant, son objectif est de transformer ces adhérents en militants. Pour cela, il a remanié le maillage territorial frontiste : pas moins de 42 délégués départementaux nouveaux ont été nommés, des anciens méritants et des néocadres prometteurs. Pour les accompagner, il compte sur deux hommes. Gilles Pennelle, secrétaire général du parti, s’occupe de la formation de base des cadres et des militants : comment faire vivre une fédération, comment tenir un compte bancaire, comment organiser des campagnes d’affichage et de tractage sur les marchés. Jérôme Sainte-Marie, le sondeur et fondateur de Pollingvox, qui a officialisé son travail auprès du parti à la flamme, est en charge de la formation idéologique. Ensemble, ils ont créé le «campus Hemera», du nom d’une divinité grecque incarnant le « jour » et la « lumière ».

L’encombrant prêt russe remboursé

Jordan Bardella a surtout réalisé une promesse qui lui tenait à cœur : celle de rembourser au plus vite l’encombrant « prêt russe ». Ce dernier, qui était devenu un véritable boulet politique pour Marine Le Pen et son mouvement, avait été contracté en septembre 2014 auprès de la banque tchéco-russe First Czech Russian Bank. Le 19 septembre dernier, Bardella et le trésorier du parti, le député Kevin Pfeffer, un de ses hommes de confiance, ont soldé d’une traite le passif financier. La somme était conséquente : «6.088.784,00 euros»«capital et intérêts inclus». Autre objectif : assainir les finances du RN d’ici à 2027. L’homme veut purger toutes les dettes. Jordan Bardella avait analysé que les liens entre le RN et la Russie pouvaient être un obstacle pour la prise de l’Élysée, sur fond de guerre en Ukraine. C’est sur ce sujet qu’il a commencé à prendre son autonomie, quand il avait déclaré dans une interview à L’Opinion qu’il y a eu « une naïveté collective à l’égard des ambitions de Vladimir Poutine ».

Bardella estime que le pape ne comprend pas le «problème de l’immigration» en Europe

Selon nos informations, un autre sujet sensible est en passe d’être réglé : les relations entre les anciens du GUD, Axel Loustau et Frédéric Chatillon, et le RN. D’ici quelques semaines, Frédéric Chatillon va revendre ses parts et quitter l’actionnariat de la société de communication e-Politic, un des prestataires préférés du parti à la flamme. Axel Loustau l’avait déjà fait cet été, à la demande de Jordan Bardella. La radicalité des deux anciens du GUD, le syndicat d’extrême droite violent, vieux amis de Marine Le Pen, était, là aussi, perçu comme un frein à la conquête du pouvoir. Et si le RN continue de faire affaire avec e-Politic, son jeune patron a décidé d’internaliser une grande partie des opérations de communication : 10 salariés ont été embauchés pour renforcer ce pôle.

Jordan Bardella estime que, pour l’instant, son plan se déroule sans accrocs. Il peut donc se projeter vers l’avenir. Son vrai test électoral, ce sera les élections européennes du 9 juin 2024. Ce sera le moment de son émancipation. Il saura si sa méthode fonctionne. Avec un peu d’arrogance, il imagine atteindre les 30%. Il dit qu’il sent venir « une vague ». Le président du RN, qui est aussi la tête de liste du parti pour ce scrutin, travaille d’arrache pied à constituer sa liste. Seules deux personnes la connaissent : Marine Le Pen et lui. Et sur ce sujet, la candidate « naturelle » du RN le laisse faire. Les 30 premières places, celles qui seront vraisemblablement éligibles, vont être sélectionnées ainsi : 30% de députés européens sortants, 30% de personnalités extérieures au RN, 30% de « méritocratie ». Il attend de ses futurs colistiers qu’ils s’engagent aussi aux municipales de 2026. Le réel enjeu du jeune patron du parti : trouver qui occupera la 2e place. Il a une femme en tête, mais acceptera-t-elle ?

«Ils m’appellent Jordan, comme ils appellent Marine par son prénom»

Il y a une femme qui est heureuse de Jordan Bardella. C’est Marine Le Pen. Elle observe et protège ce jeune homme qui pourrait l’aider à être élue présidente de la République en 2027. Ce n’est pas un hasard si elle l’imagine s’installer à Matignon. Bardella premier ministre ? C’est l’assurance d’avoir un homme de confiance à ses côtés. C’est aussi une manière d’organiser leur complémentarité et de faire taire les mauvaises langues internes. À un grand élu frontiste, un peu trop critique de Jordan Bardella, elle avait lancé : « Soit tu t’arrêtes, soit tu dégages ». Quand elle était elle-même présidente du RN, Marine Le Pen a vu comment les conflits internes pouvaient saboter une campagne électorale. Elle refuse que la même chose arrive à son héritier politique.

Jordan Bardella, lui, réfléchit souvent à la place politique qu’il a. S’il atteint des sommets dans les baromètres de popularité, ce n’est pas seulement de son fait. C’est grâce à Marine Le Pen, et il le sait. Il voit bien que les électeurs RN projettent sur lui la popularité de celle qui l’a lancé dans le grand bain politique. « Ils m’appellent Jordan, comme ils appellent Marine par son prénom », remarque-t-il. Quand ils déjeunent ensemble, les gens viennent les voir en leur disant : « Surtout, tenez bon tous les deux. Restez unis ». Jordan Bardella estime qu’il a maintenant une relation pratiquement symbiotique avec elle. À son retour des « rencontres de Saint-Denis », organisées par Emmanuel Macron, il n’avait pas encore totalement assimilé ce qu’il s’était passé. Il n’avait débriefé qu’avec Victor Chabert, son conseiller presse. Il rentre chez lui vers 5h du matin et se fait une assiette de pâtes à l’italienne. Il décide quand même d’envoyer un texte à Marine Le Pen pour lui livrer ses premières impressions. Manque de chance pour lui : 5h du matin, c’est l’heure à laquelle la journée de sa patronne commence…

Au moment de sa réconciliation avec Bruno Bilde, Jordan Bardella s’est souvenu d’un moment décisif de sa jeune vie politique. À l’automne 2018, les deux hommes s’étaient vus pour évoquer les européennes de 2019. Jordan Bardella voulait savoir s’il avait une chance d’être sur la liste. Bruno Bilde, si Bardella avait les épaules pour être tête de liste. Au moment de se quitter, le vieil ami de Marine Le Pen avait lancé au jeune militant : «Ne t’inquiète pas, on s’occupe de ton avenir».

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